dimanche 6 mai 2018

L'art de perdre


L'Algérie dont est originaire sa famille n'a longtemps été pour Naïma qu'une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ?
Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu'elle ait pu lui demander pourquoi l'Histoire avait fait de lui un « harki ». Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l'été 1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus de l'Algérie de son enfance. Comment faire ressurgir un pays du silence ?


Commentaire:

Je voulais lire ce roman depuis longtemps, ayant lu de nombreuses critiques élogieuses à son sujet. Et je n’ai pas regretté ma lecture d’abord parce que l’écriture de l’auteur m’a saisie et emportée dans une histoire à la fois belle et tragique. Ensuite parce que son roman aborde des thèmes qui me touchent sur l’identité, l’appartenance à une culture, le poids de nos racines, la transmission de nos origines, la famille. Son histoire est divisée en trois parties : nous entendons Ali puis son fils Hamid et enfin sa petite-fille Naïma.

 Tout commence en Algérie dans les années 50, Ali vit dans un village de Kabylie, il règne sur une famille élargie et sur une partie du village grâce à la production d’olives qui les fait vivre. C’est un patriarche, un homme reconnu et écouté, il pense pouvoir transmettre ses biens plus tard au fils qu’il vient enfin d’avoir. Mais tout s’effrite, s’écroule quand un certain FLN commence à commettre des attentats, à menacer les villageois en leur disant que s’ils collaborent avec les français, ils seront punis. Mais qu’est-ce que cela veut dire collaborer ? C’est continuer à recevoir une pension de la France pour faits de guerre par exemple.  Ali qui a combattu au Mont Cassino avec l’armée française ne comprend pas pourquoi il devrait y renoncer, il ne comprend pas non plus pourquoi Akli, un ancien soldat de 14/18, a été égorgé par le FLN et son corps laissé nu devant le bâtiment où se rassemblaient les anciens combattants. Il a peur pour lui, sa famille et son village et se retrouve écartelé entre des soldats français menaçants et un FLN dangereux. Au moment où l’indépendance devient une réalité, Ali fuit avec sa femme et ses trois enfants. On lui a collé l’étiquette de harki, il ne pourra jamais plus s’en débarrasser.
 Les voilà en France, parqués au départ au camp de Rivesaltes qui aura vu passer depuis son ouverture tous les réprouvés d’Europe puis envoyés dans un camp dans les Bouches du Rhône pour travailler pour l’Office national des forêts et enfin à Flers en Normandie. La parole passe alors à Hamid, le fils aîné, car à partir du moment où ils arrivent en France, Ali et sa femme Yema, se taisent en dehors de la cellule familiale. Ils n’ont jamais appris à lire et à écrire, dès lors, c’est leur fils qui s’informe, explique, transmet les paroles du dehors, celle de l’école, de l’administration. Cette parole qui lui est refusée, est difficile à vivre pour Ali qui voit sa vie, son rôle s’étioler entre les murs de l’appartement de la cité où ils vivent, qui voit surtout son fils lui échapper, pire le juger. Hamid a choisi la France, il est décidé à s’imprégner de la culture française, de la faire sienne, alors peu à peu il oublie la langue maternelle, l’Algérie. Il refusera toujours de retourner là-bas et refusera toujours de parler de son enfance en Algérie à ses filles, des événements qui l’ont conduit à se retrouver avec d’autres harkis à Rivesaltes. Ce qu’il veut c’est qu’on le laisse tranquille entre sa femme Clarisse et ses quatre filles.
C’est une de ses filles Naïma qui fera le chemin en sens inverse, elle se rend en Algérie pour son travail (elle doit ramener des œuvres d’un artiste algérien qui vit en France). Naïma est française mais depuis les attentats qui ont touché la France en 2015, elle a l’impression qu’on la regarde autrement et qu’elle doit, plus que d’autres, condamner les actes terroristes. Ce n’est plus son nom qu’on regarde mais son visage qui dit sa culture. Aussi ce voyage en Algérie, elle le refuse longtemps : elle ne connaît rien de ce pays, ni son histoire, ni la langue qu’elle a pourtant essayé d’apprendre. C’est son patron qui l’oblige à s’y rendre partant du principe que puisqu’elle est à moitié algérienne, elle est légitime pour y aller. Mais comme lui dit Ifren, un algérien qui l’accueille à son arrivée : « Tu peux venir d’un pays sans lui appartenir […] Il y a des choses qui se perdent… On peut perdre un pays. » Et effectivement, Naïma se rend compte en se rendant dans le village familial que rien ne la rattache à elle. La famille qu’elle rencontre pour la première fois lui restera étrangère toute sa vie, ce pays dont son père a toujours refusé de parler n’est pas le sien. Il lui permet en tout cas de rapporter à sa grand-mère Yema un peu de sa vie abandonnée en 1962 à travers quelques photos.
Je vous recommande ce roman très beau, très fort et qui laissera dans ma mémoire une marque indélébile.

1 commentaire:

  1. ça donne envie!
    Moi aussi je l'ai repéré de puis un moment et j'avais vu les critiques élogieuses, on me l'a offert, dédicacé par l'auteure, faut que je le lise :)

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